SCÈNE  1 - Une voix et la Nuit


Voix

Rappelle-toi, rappelle-toi... Il y avait quoi ? qui ?

la Nuit

Il y avait des oiseaux troubles... Le hibou, hein ? Écoute-le, écoute-le... Il chante, dans la forêt, il chante... Il parle aux arbres, écoute-les, écoute-les. Ils écoutent... Écoute, écoute. Écoute les arbres... Ah !...
Il y avait des dessins fantastiques illustrant mes désordres intimes, les désordres de tous les gens, de toutes les bêtes, de la matière aussi qui survivait dans ces maléfices du jour, portée à poing levé devant les infortunes des survivants de l'horreur, du carnage, de la langueur du quotidien... Il y avait des traces de bonheur et d'ivresse conjugués dans les temps présents et de préférence à l'Impératif :
___ Sois toi, tu n'es que toi. Trouble les porte-paroles habituels [et commandés par le pouvoir, et l'habitude,] et l'inquiétante déraison de qui se croit prisonnier, meurtri, alors qu'il ne suffirait que d'un envol, d'une science inventée et immédiate, pour que tout chante et tout s'enchante.

Voix

[Et] Où cela s'est-il passé ? [dis...]

la Nuit

Partout, dans ta voix, dans ton cœur, dans tes larmes de joie, dans ton sourire, au bord du crépuscule, quand les couleurs ne sont plus les couleurs mais un semblant de cohésion entre ma complaisance et ta solitude.

Voix

Alors ?

la Nuit

Ces mots que tu régis, ces idées qui te font la plus belle et la plus secrète des femmes de la Nuit
la Nuit blanche avec des cygnes dans la voix
le noctambule qui s'en va dans les rigoles de l'inerte
le nyctalope qui surgit tout à coup, le soleil en mémoire
le couvre-feu pour qui a peur, pour qui va perdre, pour qui s'endort
la tombée de la Nuit, ta tombée, comme une oraison du bien et du mal, ensemble, de connivence et dans le sang ou dans le stupre ou dans les larmes de musique ou de ces rues vaillantes encore et que désertent les clients de la bourgeoisie inquiétée, solitaire...
La polaire, là-haut, qui s'enivre et [qui] poursuit les mirages de rennes, de papillons aussi, qui ne s'ouvrent qu'à toi et sur la flamme que tu veux bien admettre... Les ténèbres, Petite, quand la passion descend plus bas que le courage
Quand s'immolent debout les désastres de ta pensée de vierge et de putain farouche à la fois, dans l'oasis, là-bas, fortuit, et ces chameaux en aqueduc...

voix

Et tes sortilèges?

Nuit

Je ne sais plus que des bribes que l'aube prend plaisir à me voler pour raconter, le jour, des histoires à dormir debout !

voix

Qu'en as-tu fait de tes sortilèges, dis ?

Nuit

Ils n'étaient pas à moi mais dans la tête de mes amoureux solennels et mystiques.

voix

Mais tu les as donnés, même s'ils n'étaient pas à toi...
A qui les as-tu donnés ? [dis...]

Nuit

A toi, quand tu dormais.

voix

C'est pour ça que je tremble
C'est pour ça que je t'aime
C'est pour ça que partout, même en enfer
IL FERA NUIT [TOUJOURS] POUR MOI !