Scène 7 - L'ENFANT

le Corbeau
Allons... Revenons à nos moutons ! Nos moutons... ah ! ah ! ah !

le Greffier
Un enfant, Monsieur !

le Corbeau
Un enfant, ici ? Mais c'est une folie ! Le monde est à l'envers. Il faudra prendre des mesures... un jour ou l'autre...

l'enfant
Ou une nuit !

le Corbeau
Comment ?

l'enfant
Oui, une nuit ou l'autre... Car j'aime la Nuit...
J'aime la Nuit comme on aime une idole. Je la chahute aussi, comme on se plaît et comme on se divertit à chahuter ce que l'on aime, et pour bien signifier mes origines et mon avenir de contestataire.

le Corbeau
Vous contestez ? Comment ? Dans votre lit ?

l'enfant
Justement... Je me couche, le soir, quand la Nuit tombe, et je m'emploie à la caresser distraitement [d'abord], et puis avec volupté et puis avec une passion méchante, tellement elle m'enivre et tellement je ne puis supporter d'être sous sa domination.

le Corbeau
Elle vous domine ? Ah ! Ah ! Ah !

l'enfant
Non, elle me soutient et me cache aussi. Alors je me venge du jour et de ses adeptes de préférence galonnés et sûrs de leur décrépitude, de cette décrépitude habillée, froncée comme un jour de présentation de mode - quand on se fronce le sentiment, l'oeil aussi vaguement tourné vers les autres regardant et avec cette fonction relative du détournement sexuel... Vous voyez ce que je veux dire ?

le Corbeau
Non. Je ne vois rien.


l'enfant
Mais oui, voyons. Vous n'avez jamais croisé ces femmes un peu passées, comme les tomates de la fin du mois d'août, des tomates qui semblent avoir été oubliées et qui s'affaissent, lentement, un peu blessées du coté de la tige... Ces femmes-là n'aiment pas la Nuit, parce que la Nuit les empaquète dans leurs silences de soie brodée ou de toiles un peu jaunies par leurs vertèbres insistantes.

le Corbeau
Comment savez-vous tout ça ? Vous n'êtes pas un enfant ?

l'enfant
Non. Bien sûr.

le Corbeau
Alors vous vous êtes déguisé ! Vous avez trompé la justice ! Greffier ?

le Greffier
YES !

le Corbeau
YOU KNOW ?

le Greffier
JA WOHL !

le Corbeau
Qui êtes-vous ?

l'enfant
Je suis le diable et la vertu, le péché et l'offense, le paravent et l'infortune, la raison du plus faible, la tentation, le privilège, la folie de l'absurde.

le Corbeau
Comment ça ?

l'enfant
L'absurde ça vaut mieux pour la compréhension du monde et, la folie s'y mêlant, on ne sait plus comment se retourner ; on flotte, des fois, dans l'incertain et le tragique. Alors, la Nuit, le noir, le silence et la peur s'y mêlant, nous ne sommes plus au monde et ça vaut mieux comme ça.

le Corbeau
Comment, comme ça ?

l'enfant
On disparaît, on s'étoile, on part, enfin, dans un monde chiffré, inévitable. Croyez-moi, Monsieur le Président, si le néant existait on ne pourrait pas en parler puisque nous n'aurions pas la pensée et les mots pour l'exprimer. Interrogez les philosophes. Ils ont horreur de la Nuit, eux, ils ont besoin d'un public attentif ou non, il faut, il faut...

le Corbeau
Il faut quoi ?

l'enfant
Rien. C'est comme les psychiatres. Quand j'en vois un, je le balance de l'autre coté de mon sexe et il s'épanouit avec rien dans la voix, rien dans le geste, comme un chiffon à nettoyer les imbéciles.

le Corbeau
Les quoi ? Les imbéciles ?

l'enfant
Ils vivent le jour, Président.

le Corbeau
Comme moi ?

l'enfant
Comme vous !

le Corbeau
Alors, je suis un imbécile ?

l'enfant
A partir du moment où vous vous demandez si vous êtes un imbécile, ce n'est plus à moi de répondre. Vous trouverez bien tout seul.

le Corbeau
Ah ! dis-donc, dis-donc... mais... Oh ! là ! là ! il faudra que... il faudra que...
(il chante)
La Nuit, quand je me prends à la souhaiter
Quand les arbres sont dénudés
Quand les hiboux vont s'envoler
Dans le crépuscule passé... 
Je vous le dis, moi, Corbeau, Corbeau ! Quelle horreur, la Nuit ! Je l'emmerde, moi, la Nuit ! Le Corbeau... KOA ! KOA ! Ils font "QUOI" aussi, les gens, KOA ! La Nuit, je l'emmerde... La Nuit, je l'emmerde... [J' suis] plus président, j'veux rien, moi, Corbeau !