le Corbeau
Elle boit, la Misère ?

Calva
Non, jamais. Elle n'a pas les moyens.

le Corbeau
Vous lui donnez à boire, ce soir...

Calva
Oui, parce qu'elle pleurait, comme la Nuit...

le Corbeau
Oh ! Regardez ! Il y a quelque chose, là, qui luit un peu, quand les projecteurs se démènent. Mais qu'est-ce que c'est ?

le Greffier
Il a demandé à être entendu comme témoin aussi, Monsieur le Président !

le Corbeau
Qui est-ce ?

le Greffier
Un vers luisant.

le Corbeau
Oh ! là, là, là... 





Scène 5 - LE VERS LUISANT


le corbeau
Vous témoignez pour la Nuit ?

le vers luisant
Voui !

le Corbeau
Pourquoi ?

le vers luisant
Sans la Nuit, je ne suis rien. Elle me vêtit (dans le sens : elle m'habilla), elle me branche sur des yeux romantiques, alors je ne suis plus un vers. Je deviens une petite étoile, comme une luciole... perdue dans les plantes, parmi les fleurs sauvages, dans l'entre-deux du rêve et de la chance. Je vis.

le Corbeau
Oui mais, [la] les Nuits sans lune ?

le vers luisant
Mais la lune sans la Nuit n'est pas la lune... Et puis, j'ai mes petits diamants, quand même. Nous sommes indissociables - excusez ces paroles - c'est une comète généreuse, une amie à nous, qui me l'a raconté.

le Corbeau
Les nuits sans lune, disais-je...

le vers luisant
Eh bien, c'est elle qui me regarde, et on s'aime bien. Et puis, je luis...
au fond de moi-même... La lumière de la vie[, de la rage aussi], quand je vois les néons au supplice des cons, quand je vois les jardins de minuit dans les culs, quand je vois s'illustrer un crapeau sous l'offense...

le Corbeau
Un crapeau ? Voyons...

le vers luisant
Oh ! Lui, le jour, la Nuit, on le conspue. Alors, il a choisi la Nuit, quand même. Excusez-moi, il m'a prié de témoigner en son nom parce qu'il ne pouvait s'absenter de son coin perdu, là-bas, caché, troublé aussi par son problème. La Nuit, il est beau, vous comprenez ? Il fait des rêves fantastiques. Il plane dans l'illusion et il finit par y croire. Son illusion à lui devient sa vérité. Il prétend qu'il n'y a de laid que le fond des yeux des Hommes. Il est très beau, parce que personne ne le voit. Quand le jour se lève, alors, il se rappelle... Moi aussi... Et nous attendons tous les deux que retourne notre camarade la Nuit. Ne lui faites [surtout] pas de mal. Elle ne voit rien parce qu'elle n'a pas besoin de voir... la Nuit ! [la Nuit...]