le Greffier
Et aux baleines !
le Coq
Comment... baleines !...
le Greffier
Eh oui... il y a, ici, dans le couloir, une baleine bleue...
le Coq
Allons la "visiter"...
le Corbeau
Taisez-vous, Monsieur l'Avocat Général !
Les baleines... la Nuit... C'EST FANTASTIQUE !
Entrez, Madame ! Vous témoignez pour la Nuit ?
la Baleine
Chez moi, il fait toujours Nuit dans nos âmes...
J'étais d'un grand pays sous-marin et bleuté
Bleu, comme la Nuit quand elle est bleue...
Le bleu ne m'arrivait que par la voix des hommes
Moi j'étais comme il faut le temps de me laver
De manger et de parler à mes copains...
L'important est de ne pas s'imaginer être trop grosse. Ce sont les Hommes qui ont peur de moi et ils ont tort. Nous nous parlons de loin avec tous les copains. Mon chant vient de là-bas où se tiennent les franges du temps qui passe et que vous mesurez, vous autres, avec des méridiens. Je suis un cétacé... et vous ? Des chasseurs nucléaires, aujourd'hui ? Depuis les Basques de ce siècle 14... ? Vous voyez bien que je vous comprends, mais nous, le temps, on s'en fout. Il est plus grand que nous, et nous le savons bien. Il est instantané aussi, comme disait votre Bachelard avec qui j'avais des rendez-vous du coté de la Sorbonne à Paris. Quand Gaston allumait et tisonnait son feu du matin qui était beaucoup plus important que sa leçon de philosophie, il me disait qu'il préférait rater sa leçon que son feu... C'était pas un chasseur, Bachelard, non, pas un chasseur. Un enfant, sans doute, un peu comme les miens que je porte 12 mois dans mon ventre et qui naissent tout petits... 5 ou 6 mètres... Ca dépend des chasseurs. Quand je suis pressé, je force un peu... Alors, il s'étire un peu plus... Je préfère rater ma leçon de philosophie que mon petit.
Je pars vers le Sud avec mon amant, trouvé dans le Grand-Nord et puis là-bas, Sud-Atlantique, nous nous aimons. On se nourrit au lard... de baleine ! On mincit tout l'été et on baise, oui, comme vous, avec, en plus, cette illusion que nous avons de l'aventure sous-marine et des chants dont nous nous émerveillons. Nous entendons de loin, de très loin. Nous nous parlons, nous nous aimons encore et puis, à l'automne, nous nous quittons et dans les algues inventées nous chantons la bruyère avec Apollinaire:
J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends
Et puis vinrent les Basques... Siècle 14. Nous autres, nous chiffrons comme le carbone... 14 ou 15... On n'en a rien à foutre... Et puis vinrent les Basques... Siècle 14... Ils se pointaient jusqu'au Labrador... Lèvres d'or... Pas peureux, les Basques ! Embouchure du Saint-Laurent, tu parles... Et je t'enchanterai mon petit du Québec et tu ne sauras pas que mon fils est là-bas, dans le grand Nord, et que je l'ai laissé, moi drivant vers la côte...
C'est bien le Larousse du Siècle 20, au début, qui raconte des portes ouvertes : "Ou bien on attend la bête sur la Côte ou bien on va la chercher en pleine mer." Pardi ! A l'automne, saison morte comme les amours... Je me retrouvais seule, enceinte, et comme un fil. Le lard... Mon lard s'était barré... Il le nourrit, ce petit ! J'allais me taper du krill et comme il faut, faites-moi confiance !
Suivant la chance, des fois, je faisais un bon coup : de sept à huit cents kilos de krill... C'était pas dégueulasse. Les trois étoiles ***, vous pouvez toujours vous les accrocher dans votre Michelin, Hommes Tergaliens, Hommes de la lignée des seiko à quartz, Fumiers d'outre-passé, Etang de l'Aventure assise et dans les cliniques de chair apprivoisée. Vous pouvez nous chasser, vous pouvez faire de moi, Baleine Bleue, bleue comme les crépuscules indécents quand le soleil les innocente, bleue comme les particules psychologiques de la Vierge - tu connais ? - Vous pouvez faire de moi, mesurant 18 mètres et pesant 50 tonnes, vous pouvez inventer à partir de ma vie, loin de vos turpitudes et de vos nucléaires prétentions - d'ailleurs, vous verrez bientôt la marée nucléaire et avec tous mes compliments... - vous pouvez faire de moi 7 tonnes de lard - moins celui que j'aurai usé pour mon petit -, et puis 22 tonnes de viandes, et puis 9 tonnes d'os, et puis 2 tonnes de viscères, et puis, tenez-vous bien, une tonne et demie de langue... Et puis vous pourrez dire que je ne parle pas. Si je ne parle pas encore votre langage, j'ai tout de même de quoi vous lécher le sentiment... Avec tout le respect que je vous dois...
(elle chante)
MOI, BALEINE BLEUE... C'EST MOI